Luc venait de se faire licencier et aurait bien aimé se faire consoler. Au lieu de ça, il se retrouva en compagnie de Serge qui, au lieu de lui remonter le moral, le lui descendit au plus bas.
Serge : Moi aussi, je me suis fait licencier et personne n’est venu m’aider, pas même le représentant du syndicat qui officiait dans la boîte, parce qu’à cette époque le syndicat était contre l’embauche d’employés soumis au régime privé, vu que c’était un organisme « semi-public » où il restait beaucoup de fonctionnaires attachés à leur statut que, certes, la direction aurait bien aimé remettre en cause. Était-ce de ma faute, si j’avais été embauché en tant que salarié de droit privé. Moi aussi, j’avais besoin de bosser, et ce n’est pas moi qui avais décidé de ne plus recruter de fonctionnaire. Je n’avais pas le choix. Alors pourquoi cette discrimination entre ceux qui méritent d’être défendu et les autres qui n’ont qu’à crever. Certes, je n’étais pas syndiqué, mais si j’avais fait partie du bon clan, même non syndiqué, on m’aurait soutenu. C’est comme, ces syndicats qui ne défendent que les salariés qui ont encore un boulot et plus du tout ceux qui l’ont perdu.
Luc : En quoi, j’en suis responsable ?
Serge : T’ai-je dit que tu en étais responsable ? On ne se connaissait même pas encore à cette époque. Mais bon, on connaît tous des gens qui se sont faits licencier, et personne ne fait jamais rien quand ça se produit. C’est valable d’ailleurs pour moi comme pour les autres. On s’en lave tous les mains. Alors, non tu n’es pas responsable ni ne l’as été quand je me suis fait viré, mais moi non plus je ne le suis pas vis-à-vis de ton licenciement.
Luc : Je n’ai jamais dit que t’étais responsable. Je voulais juste en parler. Et toi au lieu de compatir, si je puis dire, tu m’engueules.
Serge : Alors parlons-en, mais ne compte pas sur moi pour te faire le coup de la solidarité. Y a plus de solidarité ! Fini ! Maintenant, c’est chacun pour sa gueule. C’est comme l’histoire qu’on raconte sur la 2ème guerre mondiale qu’on pourrait aisément transposer, toutes proportions gardées, à ce qu’on vit aujourd’hui : quand on a licencié ces gens dans ce pays à l’autre bout du monde, je n’ai rien dit. Je n’ai rien dit, non plus quand on a licencié les gars de l’usine voisine. Et quand, on m’a licencié, il n’y avait plus personne pour protester. Eh bien là, c’est pareil, c’est chacun pour soi. Personne n’a pleuré quand je me suis fait licencier, alors je ne le ferais pas pour toi ni pour qui que ce soit.
Luc : Je ne t’ai jamais demandé de pleurer, mais on dirait que tu en veux à la terre entière. Tout le monde n’est pas non plus responsable si toi aussi t’as perdu ton job. Au contraire, tu devrais comprendre ce que ça fait quand on y est confronté puisque tu l’as toi-même vécu. Tu devrais te montrer plus humain au lieu de vouloir comme te venger à travers ceux qui subissent ce que tu as subi, parce que quand tu l’as subi personne n’est venu t’aider. Si tout le monde faisait comme toi, c’est sûr la solidarité, y en aurait plus du tout !
Serge : Mais, c’est le cas, la solidarité est morte et enterrée. D’ailleurs quand on s’en prend à « l’assistanat », c’est bien à la solidarité qu’on s’en prend. Assister son prochain devrait être une forme de noblesse, mais comment pourrait ce être le cas si être assisté est devenu comme une infamie, limite une insulte ? On est plus du tout solidaires les uns vis-à-vis des autres, ne l’a-t-on d’ailleurs jamais été ? Alors puisqu’on est plus solidaires, soyons solitaires ! Chacun dans son coin ! On en est là ! Toi aussi, maintenant tu vas devenir un assisté et crois-moi les autres vont bien te le faire sentir.
Luc : Non je ne crois pas que tout le monde soit comme ça, même si là tu m’as complètement déprimé. Je pense que tu parles comme ça, parce que tu es en colère. Mais ce n’est pas en étant en colère contre ceux qui comme toi ont été victimes d’exclusion que tu régleras quoi que ce soit. Si tu veux faire évoluer les choses dans le bon sens, si ce n’est pour toi-même au moins pour peut-être tes enfants, retourne ta rage contre les vrais responsables, les « licencieurs », et non pas contre leurs victimes dont toi-même tu as fait partie.
Commentaires